Cette simplification de la société est censée nous expliquer comment marche la monnaie.
Or dans ce conte il manque beaucoup trop de chose. D'ailleurs notre système se serait écroulé depuis bien longtemps, s'il marchait comme ça.
L'or n'appartient pas au banquier
Même si une banque a un capital qui sert à acheter l'outil de travail (les locaux, les meubles, les cahiers, les crayons, ...). Tout le reste de l'or appartient à ceux qui le dépose et reçoivent des billets à la place. Là, dès le départ, tout appartient au banquier, ce qui n'est pas réaliste. Il y a un confusion complète entre son capital et ses fonds.
D'ailleurs, dans le système économique qui est décrit, les naufragés sont émerveillés, rien qu'à l'idée d'avoir de l'or ; ce qui est quelque peu absurde dans leur situation. C'est d'ailleurs ce qu'on peut reprocher à la plupart des capitalistes à l'américaine : ils cherchent à avoir plus d'argent pour l'argent, et non pas pour ce qu'on peut faire avec. L'argent en lui-même est simplement du papier dont on ne pourrait rien faire. Ce qui le rend intéressant, c'est de pouvoir l'échanger contre des biens ou des services. Mais surtout, il y a plein de choses qui n'ont pas de valeur en soit ou qui sont difficilement évaluables. Par exemple, la réputation d'une société est difficilement évaluable, mais c'est ce qui lui permet de faire des affaires.
Dans l'histoire des naufragés, les entreprises empruntent donc tout à la banque pour constituer leur fond de roulement. Admettons cela. C'est tout à fait possible, et ça ne met pas les sociétés privées en péril.
La banque n'est pas hors du système
Il est déjà très étonnant que les naufragés donne tout gratuitement au banquier. Mais le banquier leur fait payer un intérêt sans que le banquier paie un loyer !? D'ailleurs comment fait-il pour se nourrir ? Que fait-il toute la journée ? N'a-t-il pas au moins des distractions ? Le banquier décrit dans cette histoire reste chez lui toute la journée sans rien consommer, ce qui est fort étonnant.
Ce que semble suggérer l'histoire, c'est que le banquier est logé et nourrit gratuitement. Mais encore une fois, ce sont les naufragés qui sont trop bêtes ; ils acceptent de loger et nourrir gratuitement le banquier, tout en le rémunérant par l'intérêt ? C'est tout simplement absurde.
Normalement, la banque ne gagne pas toute seule de l'argent par l'intérêt ; ceux qui placent de l'argent à la banque, gagnent aussi de l'argent. En temps normal, une banque est un intermédiaire entre ceux qui cherchent à placer l'argent parce qu'il n'arrive pas à tout utiliser, et ceux qui en cherche. La banque se rémunère sur ce service.
La banque centrale n'est pas une banque ordinaire
Là, encore, il y a une erreur : ce qu'on nous présente, c'est une banque qui crée de l'argent. Or, seule une banque centrale a le droit d'imprimer de l'argent. La banque de France et la Banque centrale européenne ont des statuts qui n'appartiennent qu'à elles : c'est une société administrative à mission spéciale. Par exemple, tous ses bénéfices de la banque de France reviennent à l'état français.
En fait, elle est capable de créer ex-nihilo une tonne de monnaie pour le prêter sur les marchés. Quand la monnaie lui ait remboursé, elle le détruit, mais il serait catastrophique pour l'économie que les intérêts soient eux aussi détruits. Les intérêts sont donc reversés à l'état, après paiement des employés et des frais liés à son fonctionnement (comme l'impression de la monnaie elle-même).
Mais où sont les lois et l'état ?
Dans l'île il y a visiblement des biens communs, et une notion de propriété. Mais rien pour encadrer strictement tout ça : comment résolvent-ils les conflits ? Pas de lois ? Pas de juges impartiaux ? Qui applique la décision ? Où est police ?
Comment font-ils pour gérer l'entretien de leur salle de réunion ? Car si un s'occupe de passer le balai, il se sentira lésé, si les autres ne font rien. Seul l'impôt permet de résoudre la gestion des biens communs.
Les naufragés signent un contrat, mais vu qu'il n'y a pas de juge ni de police, ce contrat n'a aucune valeur. Du papier avec des gribouillis dessus. D'ailleurs, les billets de banques n'ont pas plus de valeur.
Une grave erreur de l'Île aux naufragés est d'oublier la loi. C'est le cadre juridique et le niveau de sécurité qu'elle procure qui permet d'évaluer le taux d'intérêt et la durée des prêts. En outre, les prêts sont à durée indéterminés, ce qui est autorisé en Amérique mais totalement interdit en France.
C'est une erreur classique des partisans du libéralisme économique : sans la loi, l'impôt et l'état, le système économique s'effondre de lui-même. Un système économique n'est viable que s'il y a une armée, une police, une justice, une administration et un législateur.
Une autre erreur classique est de croire que c'était l'or en lui-même qui faisait la valeur de la monnaie. Déjà, les pièces d'or étaient les plus chères, mais aussi les plus rares. Tout le monde n'en avait pas ; il y avait des monnaies en cuivre, en argent et en bronze. En plus seul le souverain avait le droit de frapper la monnaie.
Depuis que Montaigne a étudié l'age d'or de l'Espagne, où une grande quantité d'or avait été importé du nouveau continent, on sait que la valeur des pièces d'or n'était lié qu'à la quantité de pièces en circulation. En augmentant le nombre de pièces d'or en circulation, les prix avait augmenté. Ainsi quelqu'un travaillant et consumant en Espagne, ne pouvait pas s'acheter plus de chose que quelqu'un qui vivait à Paris. Son salaire était plus haut, mais les prix aussi étaient plus hauts.
L'histoire de l'île se focalise sur la matière : l'or, alors que c'est la quantité de monnaie en circulation qui est importante.
A l'époque des pièces d'or, le fait d'être lié à la rareté d'un métal, permettait de garantir que personne n'allait émettre des pièces en grande quantité. Mais que la monnaie soit en métal ou en papier, ne change absolument rien au principe.
Aujourd'hui, la banque centrale et la loi nous garantissent que personne d'autre ne puisse émettre d'argent. Et regardez le résultat : jamais les taux d'intérêt n'ont été aussi bas. L'Europe n'a jamais eu autant de stabilité économique, malgré une crise économique mondiale équivalente à celle de 1929. Dans le récit, l'auteur parle de taux à 8%, ce qui était très bas il y a même vingt ans en Europe. Actuellement, 4% semble très élevé.
L'absence de concurrence
L'île ne représente pas tout à fait la réalité, car dans la réalité, les banques sont en concurrence. La rémunération des banques est censée être calculé au plus juste. Si ce n'est pas le cas, c'est qu'il y a un problème à résoudre, au besoin avec une loi. (Expliquer les problèmes de concurrence et comment les résoudre sera peut-être l'un de mes prochains articles).
Conclusion
L’Île aux naufragés présentent un "modèle" au sens de la science physique, c'est à dire une simplification de la réalité qui permet d'essayer de comprendre ce qui se passe. Comme tout modèle, tout n'est pas représenté. Il faut bien être conscient des limites du modèle qu'on choisit. Dans le cas de l'Île aux naufragés, l'auteur a fait plusieurs oublis, dont le plus grave était de considérer que la banque était hors du système économique.
Oubliant cela, il présente le banquier comme s'il voulait la chute du système économique. Le banquier a tout intérêt à ce que le système monétaire marche, puisqu'il s'en sert lui aussi.
S'il y a quelque chose qui paraît injuste, c'est à la loi et aux impôts qu'il faut recourir pour limiter les inégalités.
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