Le profiling : cette pseudoscience
Commençons par l'essentiel de peur de passer à côté : le "profiling" ne marche pas ! Cela n'a pas plus de valeur que l'horoscope de votre magazine télé.
Malgré l'absence totale de preuve de son efficacité, le "Behavioral Analysis Unit" ou "Unité d'Analyse Comportementale" présentée dans cette série existe bel et bien. Dans la pratique, un ou deux agents sont détachés sur plusieurs enquêtes au lieu de toute une équipe sur une unique enquête. Les enquêtes peuvent s’étendre sur plusieurs mois ou années, et la qualité de l'aide de ces "profileurs" est en fait très controversée.
Dans un test, il a été présenté des cas réels d'enquête à différents groupes de personnes : policiers, profileurs, étudiant en chimie et biologie. Il a été demandé d'essayer de donner un profil du criminel à partir de la présentation des victimes et de leurs agressions. Aucun résultat de ces tests n'a montré que les profileurs était plus efficaces que les autres groupes. Parfois même, les étudiants en biologie et chimie ont été meilleurs que les profileurs.
D'ailleurs avant cette série, l'Unité d'Analyse Comportementale et ses profileurs étaient souvent exhibés dans les films et séries pour montrer leur incompétence. C'est le Silence des Agneaux qui a popularisé le concept.
Ceci dit, j'apprécie toujours la science-fiction. Je critique donc cette série en tant que série de science-fiction et non en tant qu'une représentation de la réalité.
Les profileurs sont des super-héros
Les profileurs de cette série sont de véritables super-héros : au moindre crime, ils prennent leur jet privé pour voler au secours de la veuve et de l'orphelin partout dans le pays. Certains épisodes se déroulent sur moins de 24 heures. Après une brève réunion au QG, ils volent là où est le tueur, ils résolvent l'affaire juste à temps pour sauver la dernière victime, et repartent aussitôt au QG.
Le jet privé est toujours prêts à décoller. Vu le prix de ce genre d'engin et des services attenants (place dans le hangar, pilote, entretien, etc), c'est très irréaliste. Un policier même fédéral voyage plutôt en seconde classe sur des lignes régulières.
Mais ils ont aussi des pouvoirs illimités en matière d'informatique grâce à Penelope Garcia. C'est tout simplement impressionnant de pouvoir disposer en un clin d'oeil, d'autant d'informations en si peu de temps. Impressionnant et inquiétant : imaginez les dérives si un homme politique savait tout sur son opposant. Tiens, une dépense en bijou et une consultation d'avocat pour divorce : il trompe sa femme, et en plus je vois des dépenses régulières dans un motel, je vais pouvoir faire des photos pour les journaux à scandale !
Bien souvent, les enquêtes se résolvent quand nos super-héros avec leurs super-pouvoirs établissent un portrait psychologique du suspect. "Le suspect est blanc, mâle" : hein ?! Pourquoi ? Comment ? Ce point je ne le comprends jamais ! Il a tel niveau d'étude, il habite près de l'eau, son père le battait, etc, etc. En temps réel, Penelope rendre toutes ses données dans l'ordinateur, qui, ô magie, ne sort que quelques personnes. Quand les scénaristes veulent faire cours, il n'y en a qu'un. S'il y en a plusieurs, ils lisent certains détails, qui leur permettent de dire lequel colle le mieux. Malgré l'approximation, ils trouvent sans erreur le véritable coupable. Ils sont très forts !
Non contents d'être de super-psychologues, de véritables cerveaux, quand le coupable est identifié, ils se transforment en super-flics de terrain. Quand une porte est défoncé, ils sont dans les premiers à entrer pour sauver la victime. Bien entendu, ils arrivent in extremis, pile-poil au moment ou le tueur allait passer à l'acte. La prise d'otage est quasiment systématique.
Ils deviennent alors de super-négociateurs. "Je te jure : tu auras une cellule avec des barreaux et des WC en or. Et on mettra de la fourrure sur ta chaise électrique." Souvent, le coupable pris en flagrant délit, est tué. Sans remords ni support psychologique, et le sens du devoir accompli, nos super-héros peuvent retourner dans leur jet pour sauver d'autres veuves et orphelins.
Parmi les scènes totalement inutile, il y a systématiquement la présentation du profil à une troupe de policier. Très sérieusement, ils présentent chacun leur tour leurs déductions horoscopiques sur la psychologie du tueur. "- Il est blancs, mâle, la quarantaine, marié, trois enfants, un lapin. Il est psychopathe. - Euh ! Excusez-moi, comment on reconnaît un psychopathe dans la rue ? - Ben, c'est simple. Il agit comme un psychopathe - Ah oui ! Question idiote. Pardon. Je suis tout confusionné..."
Violence et peur
Les scènes de torture et de meurtre sont toujours très violentes. Cette une sur-enchère est souvent inutile pour l'histoire elle-même. A croire que le réalisateur prende son public pour d'infâmes voyeurs. Même TF1 s'est senti obligé de censurer certaines scènes.
L'horreur repose souvent sur la banalité des situations dans lesquels les victimes sont tuées ou enlevées. Souvent les scénaristes utilisent un faux danger. Ils font monter la pression, on croit que c'est telle personne qui va tuer la victime, et... non. La pression se relâche, et là le vrai meurtrier tue ou enlève sa victime. Ah non, cette fois c'était la découverte du cadavre. On sait qu'il va se passer quelque chose, mais on ne sait pas quoi.
Le mythe de l'assassin est asocial et psychopathe !
Souvent l'assassin est décrit comme psychopathe ou sociopathe. Sinon c'est une personne en marge de la société. C'est un véritable lynchage du marginal.
Un sociopathe est quelqu'un qui ne ressent aucune émotion : ça peut faire peur, mais si une telle personne ne ressent aucune compassion envers son prochain, il ne ressent aucune haine non plus ! Il n'a aucune attente ni exigence. Les défenseurs de cette théorie s'arrêtent à la moitié du concept : un sociopathe est quelqu'un qui n'a aucune émotion positive envers les autres... sauf qu'il n'a aucune raison d'avoir des émotions négatives !
Les statistiques contredisent ce genre de théorie : les assassins sont plus souvent des proches de la victime.
La fausse idée que les proches ne se tuent pas entre eux, et clairement affirmer par l'un des profileurs : "il a commencé par enlever des inconnus, il ne peut pas commencer à enlever des personnes qu'il connaît". Pourtant, c'est contredit par les épisodes autour, où des ersatz de Bonnie et Clyde commence par tuer de parfaits inconnus avant d'aller tuer ceux qu'ils jugent responsables de leurs malheurs ; leurs pères respectifs. Ou l'épisode du "Silencieux" qui avait commencé par tuer une parfaite inconnue avant de tuer sa mère, puis de nouveau de parfaits inconnus.
Penelope me fait plus peur que les meurtriers de la série
Penelope est l'informaticienne de génie. Par contre elle est hyper-émotive et s'occupe sans cesse de ces chers collègue ; collègues dont elle connait tout d'ailleurs ! Elle appelle tous les hommes de l'équipe "mon petit chéri".
Peut-être est-ce en contraste par rapport aux assassins ou pour nous faire oublier que dans la logique des scénaristes, les assassins sont quasiment tous des asociaux, et que les informaticiens sont en général des asociaux.
Penelope est tellement attentionnée qu'elle en devient flippante. Souvent une personne qui vous porte de l'attention, attend autant d'attention de votre part. Ou alors c'est qu'elle vous admire tellement, qu'elle porte ses exigences envers vous à un très haut niveau. C'est par exemple le ressort d'un film tel que le Fan.
C'est pour cela que Penelope me fait flipper : elle n'a aucun contrôle et se laisse submerger par son émotivité. Le jour où elle a des émotions négatives ça risque d'être hyper-violent.
"Ce n'est pas logique !"
Ça doit être la phrase la plus prononcée par Spencer Reid. Quand il la sort, je me dis, qu'ils sont en train de faire le profil d'un fou meurtrier. Pourquoi auraient-ils besoin que telle ou telle chose soit logique ? Parfois, il y a des événements qui arrivent par hasard.
Cette phrase est utilisée pour rejeter une théorie d'un des autres héros, sans vraiment aller plus loin dans le raisonnement. Pourquoi n'est-ce pas logique ? Parce qu'il le dit. Pourquoi un tueur en série devrait avoir une logique ? Bien entendu, ce côté logique n'est là que pour rassurer le spectateur : oui la police peut arrêter les criminels car ils ont toujours une logique qu'il suffit de découvrir pour les arrêter. Le pire serait sans doute qu'un tueur en série reste indétectable parce que les meurtres n'auraient aucun lien entre eux !
Le mythe du tueur en série
La figure du tueur en série est rassurante en elle-même, car par la récurrence de ses actes et du rituel, il se rend vulnérable. Sauf que peu de tueurs en série ainsi nommés aux USA, ont réellement un rituel. Ce concept de tueur en série est le plus usé au cinéma et à la télé. Pourtant il s'agit d'un cas de figure extrêmement rare. Le sensationnalisme des média américains ont poussé à appeler de plus en plus de cas "tueur en série". Il suffit de tuer trois personnes de manière similaire pour que les media d'information parlent de tueur en série. Un homme tue sa femme et ses deux enfants : c'est un tueur en série !
C'en est tellement devenu absurde, que la télévision a inventé Dexter, le tueur en série de tueurs en série ! Ainsi il y aurait suffisamment de tueurs en série dans une seule ville pour que Dexter puisse en tuer 96 (8 saisons de 12 épisodes !) En 1970, le FBI estimait à entre 10 et 50 le nombre de tueurs en série. Aujourd'hui ils l'estiment à 500. Gageons que cette inflation est surtout dûe à l'élargissement de la définition du terme.
Vision manichéenne
Les super-héros sont les gentils, les tueurs en série les méchants. Dans cette vision binaire du monde, les méchants ont toujours été méchants, et les gentils restent toujours des gentils.
Un tueur en série a forcément une histoire tumultueuse. C'est bien entendu rassurant pour le spectateur de savoir qu'on peut repérer les fous tueurs. Mais c'est aussi le postulat de départ du principe du profiling.
Les gentils ont le droit de tout faire. Nous avons ici le problème du super-héros : ils sont forts, ils sont beaucoup trop fort. Les comics ont parfois plus de recul sur leur propre genre, en essayant d'adresser ce problème. Dans l'univers de Superman, il y a un univers parallèle, où Lex Luthor est élu président des USA. Superman débarque à la maison blanche, le tue et prend les pleins pouvoirs. Il en résulte un pays dictatorial où la moindre petite faute est sévèrement puni.
Juge Dredd est une caricature de société où la justice serait expéditive : une récidive se traduit par une condamnation à mort. Les juges y sont à la fois policier, juge, jury, procureur et bourreau. La justice est rendue en 30 secondes chrono.
Nos super-héros d'esprits criminels n'échappent pas à ces travers. Penelope accède en quelques millisecondes aux comptes bancaires, à la liste des appels, à la géolocalisation, le casier judiciaire de n'importe qui. Grâce à des croisements de toutes ces données, elle est capable de trouver une personne à partir de descriptions extrêmement vagues. De tels pouvoirs s'ils sont détournés, peuvent permettre de faire chanter à peu près n'importe qui. Mais c'est justifié, parce que ce sont les gentils. Sauf que le monde n'est jamais blanc ou noir, à un moment donné, chacun peut être tenté de faire passer ses intérêts personnels devant l'intérêt public. Nos hommes politiques en sont la preuve vivante.
Les super-héros profileurs sur le terrain ont eux aussi ce problème. A un moment il arrive devant l'assassin, qui prend en otage une victime. Il peut alors prendre des initiatives à la limite de la loi, comme par exemple quand il y a plusieurs assassins, révéler des faits à l'un d'eux à propos de l'autre qui va amener les assassins à se tuer entre eux. Le super-héros n'a alors aucun état d'âme : j'ai manipulé des personnes pour qu'elles se tuent entre elles. Quand c'est un tueur en série qui le fait, c'est mal. Si c'est un gentil, c'est bien, car la fin justifie les moyens.
Cette philosophie manichéenne serait sans conséquence dans une fiction, si elle ne servait pas à justifier des faits intolérables dans la réalité. Le fait est qu'au camp de Guantánamo, des hommes sont emprisonnés sans procès et torturés. Si c'était une dictature ça serait intolérable, mais comme c'est les USA et que ce sont des gentils, tout est permis pour avoir les renseignements voulus.
Et le lobby des armes dans tout ça ?
Comme l'a bien pointé du doigt Michael Moore dans Bowling for Columbine, le sentiment d'insécurité aux USA incitent les américains à s'armer (et se surarmer). En présentant des situations de la vie quotidienne où des personnes se font enlever, torturer, et tuer, cette série peut rendre paranoïaque, ou tout du moins de douter dans certaines situations banales.
Le fait est que la série policière est un genre sur-représenté dans les média américains. Ce n'est bien entendu que le reflet de la course au sensationnalisme dans les média d'information aux USA. D'ailleurs, l'ouverture des données relatives aux agressions, a montré que bien que les média parlent essentiellement des agressions envers des femmes blanches, ce sont les noirs, et en particuliers les hommes qui sont le plus souvent agressés ou tués.
Conclusion
Je ne sais pas trop ce qui rattrape cette série. Rien n'est inspiré de faits réels. Le mythe du tueur en série est surexploité jusqu'à l'absurde, au point de chercher une logique dans les actes de personnes démentes. La société de l'information et du recoupement instantané de toutes les bases de données existantes est super-flippante. Les policiers censés nous protéger, savent tout, voient tout. Cette police nous protège, mais qui nous protège de cette police ? Cette série est ultra-violente, ultra-manichéenne.
En fait je ne regarde cette série que pour repérer les défauts de raisonnements ("mais pourquoi ils en déduisent que l'assassin est un blanc mâle !?!") et être halluciné par l'absence de rapport entre la citation au début ou à la fin de l'épisode et l'histoire de l'épisode... Que viennent faire là ces citations ?
C'est une série à gros budget mais sans intérêt.